Ne me dites pas que je dois vivre aussi
Je ne suis pas encore né et pourtant j’ai déjà vécu assez de traumatismes pour avoir besoin de quelques années pour m’en réparer.
Il m’en aura fallu 43 pour déjà sortir du secret et savoir enfin que mon père était un autre.
La première année après, j’ai pris le temps pour me rendre compte à quel point cela m’avait coûté de vivre jusque là. Certainement parce que cela faisait plus de 8 ans que j’avais questionné ma mère sur ma filiation. Avoir ces doutes et rester sans réponse aura été largement traumatisant – pour moi et pour toutes les personnes de ma famille qui n’auront pas compris mon silence – victimes secondaires de mon vécu.
J’ai envoyé à cette époque plusieurs courriers où je demandais à ma mère quelle était mon histoire de conception, de ne pas me laisser sur des non dits et de clarifier les choses. Début décembre 2017, je formulais même explicitement la question de savoir si mon père était bien mon père. J’avais même mis une deadline pour la fin de l’année.
Le 31 décembre, mon courrier était resté sans réponse. Le silence tue. Me sentant très mal en allant me coucher ce soir là, je me suis allongée sur un matelas dans le salon. Je ferme les yeux et je me fois alors partir: je me vois décoller et entrer vitesse grand V dans un tunnel. Et au bout de celui-ci, une lumière blanche qui m’empêche d’aller jusqu’à elle. Je sais alors à ce moment là que « ce n’est pas pour moi ». Je n’ai plus alors qu’à revenir dans ma vie pour poursuivre l’aventure.
Cette expérience si brève de mort imminente (EMI) était claire: j’avais encore un chemin à continuer, je ne pouvais pas juste renoncer comme cela à la vie.
Je n’avais pas conscience à ce moment là comme pourtant je sur-vivais plus que je ne vivais ma vie.
J’aurai mes réponses sur le fait que mon père n’était pas mon père six ans plus tard, en mars 2023. Simplement parce que j’avais réussi à trouver comment contraindre ma mère à m’en parler – en ayant recours aux tests ADN et parce que j’ai eu la chance que ma soeur accepte d’en faire un. Comme nous ne nous ressemblons pas physiquement, ma mère se doutait bien que la vérité ressortirait alors.
L’année et demi qui a suivi aura été amère. Savoir ne veut pas dire immédiatement sortir de ce mode sur-vie ni être heureuse. Savoir signifie re-parcourir son histoire de vie et intégrer comment ce mode de conception a pu impacter tant de choses. En vrac, par exemple
- le regard que chacun de mes parents portait sur moi
- le vécu de l’embryon face à l’abandon du père et au rejet de celui-ci par la mère (et vice versa)
- les difficultés dans la construction de qui je suis pleinement puisqu’il me fallait me construire sans avoir conscience de ce qui faisait mon héritage paternel
- les distorsions dans les relations aux autres membres de ma famille qui dans le fond ne savaient pas à qui ils avaient à faire, étant tenu à l’écart de mon histoire – tout en sentant eux aussi la mise à distance
- le sentiment d’insécurité et de dépendance qui m’ont plongé dans nombre de relations toxiques
- …
Et puis c’est aussi apprendre à vivre avec des vides qui resteront à jamais ainsi. Il est difficile de faire le deuil des moments que l’on n’aura jamais vécu – plus d’ailleurs de ceux que l’on a vécu et qui ne seront jamais plus. Simplement parce que cela demande d’abord de les conscientiser:
- es distorsions dans les relations aux autres membres de ma famille qui dans le fond ne savaient pas à qui ils avaient à faire, étant tenu à l’écart de mon histoire – tout en sentant eux aussi la mise à distance
- le sentiment d’insécurité et de dépendance qui m’ont plongé dans nombre de relations toxiques
Etre en mode survie, c’est soit tomber en révolte soit être en profonde dépression. L’un n’est pas mieux que l’autre, et ils sont toujours accompagnés de comportements d’auto-déstruction.