Cher Donneur
Il y a une année, j’apprenais ton existence. Enfin c’est là où je me suis rendu compte qu’au fond de moi, je le savais depuis de nombreuses années, mais comme personne ne me l’avait dit, j’avais comblé le vide avec des mots peu flatteurs. On comptera à la liste : tu es folle, tu délires, tu n’es ni crédible, ni fiable.
Mon « père » – enfin celui dont je porte le nom – est décédé quand j’avais 9 ans. C’était difficile, évidemment, de me retrouver sans père.
Les mois suivants, il m’a rendu visite dans mes rêves. Toujours avec le même rêve. Je le voyais au milieu d’une foule et il me disait « on t’a menti, ton père est toujours en vie ».
Je ne te raconte même pas comment je me sentais au réveil.
Ma mère m’avait obligée à porter des vêtements joyeux à l’enterrement de mon père car « il n’aurait pas souhaité que nous soyons tristes ». Alors autant te dire que dans cette famille, les émotions sont bien coupées car « non, elles ne passeront pas par nous ».
Alors que penser de ces rêves ?
Je me réveillais avec le sentiment d’étouffer. C’était si fort que je mettais toujours plusieurs minutes avant de reprendre mes esprits. Plusieurs minutes à me dire « tu es folle, tu rêves de choses délirantes, vraiment ce que rêves – et donc ce vers quoi ton esprit t’emmène – n’est pas crédible ». Bref, je prenais sur moi évidemment, comme le font souvent les enfants dans ce cas et allais prendre mon petit-déjeuner motus et bouche cousue. De toute façon, personne ne m’aurait crue.
Toi, tu n’étais pas censé exister dans mon histoire. Alors pourquoi mon père parlait-il de lui à la troisième personne ?
Seuls 10% des personnes conçues avec donneur savent qu’elles ont été conçues ainsi. Combien de Anne se réveillent le matin avec ces mal-être inexpliqués – et pourtant si facilement explicables.
Combien de Anne font des rêves « étranges », se réveillent le matin et commencent leur journée en se dévalorisant et s’auto-sabotant… alors même que cela devrait être exactement l’inverse car n’ont-elles pas osées regarder la réalité en face, au-delà des apparences ?
Cher donneur, bien sûr tu es un maillon de la chaîne qui a fait que je suis sur cette terre. Et si j’y vis, c’est aussi parce que tu y es toi aussi. Mon histoire est un peu différente des images que l’on trouve dans la catégorie « famille » des banques de donnée. Pas d’enfants avec papa et maman (ou pour les plus progressistes des photos avec l’un ou l’autre ou encore deux papas et deux mamans). Les miennes ressembleraient à quelque chose comme « J’ai deux pères et pourtant ni l’un ni l’autre ne l’est. Kesako ? ».
Bah oui car bon l’un est un « faux papa » dont je porte certes le nom mais qui se retrouve finalement dans la peau d’un usurpateur. Et puis l’autre, bah toi donneur, tu ne l’es pas non plus puisque tu as renoncé à le devenir ou du moins tu t’es coupé de ce sentiment de paternité.
Le joli dans l’histoire c’est comme finalement mon père aura utilisé mes rêves pour te reconnaître dans un rôle de paternité. Et ca, c’est juste trop beau.