J’ai envoyé une demande à la CAPADD pour connaitre mon donneur et je sais déjà que ca ne va pas aboutir
Quatre propositions d’action pour lever les pratiques discriminatoires dans l’accès aux origines
Les inséminations artificielles avec donneur se pratiquent depuis les années 1930-40 en France. La législation tardive du 31 décembre 1991 (1a) met fin aux inséminations avec sperme frais avec les risques sanitaires qu’ils impliquent et encadre l’autorisation des lieux d’insémination (cabinets privés ou autres lieux). La législation de 1994 (1b) va plus loin et officialise les centres d’études et de conservation de sperme humain (CECOS) (2) déjà en place depuis 1973 comme seuls lieux autorisés à réaliser les inséminations avec donneur.
En 2021, la loi bioéthique permet aux personnes issues des dons de gamète d’avoir accès rétroactivement aux données des donneurs et créée la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD) (3) pour orchestrer la mise en oeuvre. Mais la loi bioéthique restreint les accès et les recherches aux inséminations qui ont eu lieu au sein des CECOS, oubliant par là-même tout un pan de l’histoire médical francaise, créant rétroactivement une illégalité des pratiques hors CECOS avant 1991.
Les données disponibles dans ces cabinets aux pratiques rétroactivement illégales sont de par la structure en cabinet privé souvent restreintes dans leur archivage et l’illégalité induite n’aura fait que de les réduire encore plus. Ainsi, il ne s’agit pas de mettre un nouveau pansement sur la plaie des personnes nées de l’insémination avec donneur et qui ne connaissent pas la moitié de leurs origines. Par contre, il est urgent aujourd’hui d’y apporter des réponses bien plus concrètes, avec la mise en place d’une injonction interdisant la destruction des dossiers des donneurs de gamètes, la création de corrélations entre les donneurs et les personnes issues des dons indépendamment des cabinets d’insémination, la légalisation des tests d’ADN dits récréatifs, une mise en place adaptée pour la zone européenne (notamment du fait du « tourisme de la procréation »), tout comme des financements appropriés des recherches de filiation, souvent coûteuses en temps et en argent, pour les personnes nées des dons.
L’insémination artificielle est mentionnée dans les manuels de médecine dès les années 1880 et fait suite à près d’un siècle d’expérimentation sur les animaux puis les êtres humains (la première insémination connue remontant aux années 1790 par le chirurgien britannique John Hunter). L’histoire prit un autre tournant au lendemain de la seconde guerre mondiale où la reproduction artificielle se pratiqua à plus haute échelle sur le bétail dont les contingents avaient été largement détruits par le conflit et les journaux médicaux des années 30 et 40 abordent largement cette pratique, réalisée avec ou sans donneur. [L’autre Genèse, histoire de la fécondation artificielle, par Emmanuel Betta, Editions Hermann, 2012]
*C’est par ailleurs la seconde guerre mondiale qui marque un autre tournant. Les pratiques eugéniques nazis ont mis en lumière les risques et à leur manière contribué au débat public. Cependant, les expérimentations et les pratiques n’ont pas cessé. En fait, les avancées scientifiques après la Seconde Guerre mondiale, d’abord avec les animaux, puis avec les humains, ont marqué l’entrée de l’insémination artificielle par donneur dans des sphères plus publiques. En 1949, Christopher Polge, un doctorant, a développé des méthodes améliorées de congélation et de décongélation du sperme. En 1950, des scientifiques de l’Université Cornell ont découvert que des antibiotiques pouvaient être ajoutés à la solution de sperme dans les processus d’insémination artificielle pour protéger contre toute contamination possible. En 1953, la première grossesse réussie grâce à l’insémination artificielle par donneur avec du sperme congelé et décongelé a été signalée. Dans les années 1970, les techniques de congélation du sperme s’étaient améliorées, des banques de sperme s’étaient développées (ndlr: 1973 les CECOS étaient établis en tant qu’association en France), l’insémination instrumentale était devenue commerciale dans de nombreux pays, et il y avait de fortes demandes pour son utilisation. » [Extrait de « Donor conception, secrecy and the search for information », Sonia Allan, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), pages 3-4]
Rapport 2022-2023 de la CAPADD, adopté lors de la séance de la commission du 15.09.2023, page 17:
“Enfin, jusqu’en 1994, date de la loi n°94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, les dons « frais » (sans congélation préalable) et dirigés n’étaient pas interdits [ndlr. cf. reférence ci-contre]. Ces procédures ont été réalisées dans des cabinets de gynécologues libéraux. Aucune archive n’est dans ce cas disponible dans les centres de don, seuls organismes que la commission peut interroger”
Le droit à la connaissance de leurs origines pour les personnes conçues hors CECOS n’est donc toujours pas donné et qui plus est une inéquité de traitement est créée.
Référence
LOI no 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal (1)
Art. L. 152-9. – Les actes cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation, définis par décret en Conseil d’Etat, sont effectués sous la responsabilité d’un praticien nommément agréé à cet effet dans chaque établissement ou laboratoire autorisé à les pratiquer.
LOI no 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain (1)
Art. 16-2. – Le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci
et créée la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD) (3) pour orchestrer la mise en oeuvre. Mais la loi bioéthique restreint les accès et les recherches aux inséminations qui ont eu lieu au sein des CECOS, oubliant par là-même tout un pan de l’histoire médical francaise et créant rétroactivement l’illégalité des pratiques hors CECOS.
Madame Monique Pelletier, ministre de la famille, déclarait lors de la séance publique au Sénat du 5 juin 1980 sur l’insémination artificielle visant l’adoption de la proposition de loi de MM. Henri Caillavet et Jean Mézard et qui se limitait alors aux problèmatiques de stérilité masculine incurable (et non des techniques de la PMA sans donneur) :
« Premièrement, cette législation permettrait de réprimer des pratiques scandaleuses. Il existe, en effet — vous devez le savoir — quelques officines où des séances d’insémination artificielle sont proposées ‘ sans contrôle ni garantie aux femmes, avec des motivations lucratives. Les prix demandés sont élevés et les donneurs sont rémunérés, en contradiction totale avec les principes de notre législation concernant l’utilisation de produits d’origine humaine. Ces pratiques scandaleuses pour notre société doivent cesser et les pouvoirs publics doivent se doter de moyens nécessaires pour y mettre un terme sur une base légale.»
Sur le site de PMAnonyme, près de quinze cabinets privés, plusieurs centres gynécologiques et même une école d’infirmière où ont eu lieu des inséminationrs « hors CECOS » sont mentionnés.
Mais à titre d’exemple, le Dr. Jean Cohen, qui a été un des grands initiateurs et développeurs de l’insémination avec donneur pratiquait en cabinet privé. On est loin d’une « officine » inconnue au bataillon. Et puis il y avait aussi ceux qui assuraient les remplacements lors de vacances (cf. le Dr Cohen par exemple – tant communiqué dans son livre que cas connu) et les « autres » gynécologues (locaux ou de province) qui adressaient les couples demandeurs vers ces “quelques officines” – il fallait donc une certaine capacité à créer des réseaux pour qu’un gynécologue de province les recommande.
On est donc loin de pratiques anodines et inconnues que la déclaration de Mme Pelletier pourrait induire même si aucun chiffre ne peut être donné.
“Les Mains de la vie, la conception et la naissance maîtrisées, histoire d’une conquête” par le Dr Jean Cohen, parution 1981, Editions Robert Laffont. Extraits du chapitre 10, Insémination artificielle et adoption
« Il n’y avait qu’une seule porte palière à l’entrée du cabinet. Je l’avais noté tout de suite et cette disposition me préoccupait. — Ne craignez rien. Ils ne se rencontreront pas. Elle sera là bien avant l’heure, croyez-en mon expérience, me tranquillisa-t-il. Déjà, mon confrère me remerciait de ce « petit service » : il devait impérativement s’absenter et ne pouvait remettre cette insémination artificielle pour laquelle tout était prévu. Alors puisque je connaissais la technique, tout se passerait très bien — il n’en doutait pas. (…) Nous étions en 1961.
Biographie du Dr. Jean Cohen
Interne des hôpitaux de Paris (1958), Chef de clinique gynécologique, Attaché de faculté (1963), Docteur gynécologue à Paris (depuis 1963), Directeur du Centre de stérilité de l’hôpital de Sèvres (depuis 1975), Chargé d’enseignement aux facultés de médecine Paris-Ouest, du Val de Marne et Paris VI-Pierre et Marie Curie (1978), Directeur de Contraception-Fertilité-Sexualité (1968), de Gyn-Obs (1979), Directeur de la rédaction de Gynécologie obstétrique et fertilité (2000-03), Président de la Fédération internationale des sociétés de fertilité (IFFS) (1993-96). Chevalier de la légion d’honneur.
source: Who’s Who
La recommandation 2 du rapport 2022-2023 de la CAPADD (4)
« Élargir aux médecins exerçant à titre libéral le cadre légal qui permet à la commission d’interroger les centres de don
La commission a pour mission de faire droit aux demandes des personnes nées d’une AMP avec donneurs qui souhaitent accéder aux DI et/ou DNI.
En pratique, la commission doit donc tout d’abord identifier le donneur.
Pour ce seul objectif, en vertu du F de l’article 5 de la loi de bioéthique du 2 août 2021, « Les organismes et établissements mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 2142-1 du code de la santé publique sont tenus de communiquer à la commission mentionnée à l’article L. 2143-6 du même code (La CAPADD), à sa demande, les données nécessaires à l’exercice des missions de celle-ci qu’ils
détiennent. ».
Le 3ème alinéa mentionné correspond aux centres de don et aux centres AMP.
Cette rédaction ne couvre pas le cas des médecins exerçant à titre libéral qui ne sont ni des organismes ni des établissements. Or, des médecins exerçant à titre libéral ont pu procéder à des AMP et dans certains cas recourir en direct à des dons sans passer par un des « organismes ou établissements » de don.
De fait, un certain nombre de personnes nées de don signalent que l’AMP a été effectuée par des médecins exerçant à titre libéral.
Pour permettre à la commission de les interroger, il est nécessaire de compléter la loi. Il pourrait aussi être ajouté que la commission doit pouvoir interroger les personnes qui détiennent les archives de ces médecins, qui sont nombreux à avoir cessé aujourd’hui leur activité. »
Notons par ailleurs que comme pour les conceptions au sein des CECOS, ceci présuppose que les parents soient disposés à communiquer à leurs enfants leur mode de conception.
L’assocation Suisse Inselmination (enfants concus à l’Inselspital Bernois dont la réputation n’est plus à faire) mentionne « l’accord » qui était passé avec les parents par le Dr Gigon (le gynécologue qui aura largement contribué aux pratiques en Suisse) (lien)
“Les Mains de la vie, la conception et la naissance maîtrisées, histoire d’une conquête” par le Dr Jean Cohen, parution 1981, Editions Robert Laffont. Extraits du chapitre 10, Insémination artificielle et adoption concernant les risques de la conception avec donneur:
40% des demandes auprès des CECOS n’aboutissent pas (encore?) – soit parce que les CECOS ne disposent plus des informations faute d’un archivage de qualité (données incomplètes voire détruites) et pour le reste, les CECOS n’ont pas (encore?) donné réponse. [(5) Rapport 2022-2023 de la CAPADD, adopté lors de la séance de la commission du 15.09.2023, pages 13 -19 [ce sont 372 fiches sur 434 demandes recevables et 29 dossiers sans documentation suffisante ou documentation tout court]]
On voit ainsi des personnes attendre un à deux ans avant de recevoir réponse – alors même que le donneur aura parfois pu donner son consentement dans les semaines qui suivaient la demande (compte X de PMAnonyme). Les processus sont déjà inadaptés aujourd’hui.
Comment alors imaginer un seul instant que la recommendation de la CAPADD puisse amener une réponse satisfaisante?
N’oublions pas que le silence fait des ravages. L’anonymat avait été posé comme une condition à faire accepter l’insémination avec donneur dans les années 80 et 90 mais entre temps, la société a largement évolué et compris que le silence abime. Non seulement pour les personnes concernées mais leurs enfants aussi, à qui on demande de se construire sur du sable. Ce sentiment ne s’invente pas et se retrouve dans le discours de nombreuses personnes concues par don.
L’anonymat n’est donc plus une nécessité a-t-il été décidé lors de la révision de la loi bioéthique d’août 2021. Mais pourtant, l’accès si difficile aux origines rend rétroactivement légitime un contrat oral donné à l’époque sans valeur juridique. Un contrat fictif qu’il s’agit de questionner dans l’arbitrage des intérêts individuels.
Aujourd’hui la législation manque voire freine les possibles recherches du donneurs. Voici plusieurs pistes de réflexion pour faire évoluer celle-ci:
Toute personne concue par don de gamète le sait: elle ne rencontrera jamais sa fraterie au complet et elle pourra apprendre à connaitre son donneur, le père biologique et sa famille si elle a de la chance. Un deuil est inévitable.
Toutefois, des solutions pour pallier certaines situations existent. Elles sont un moindre mal et restent malgré tout pas une solution idéale. Mais elles sont le rappel que chaque action compte et qu’il ne peut être acceptable de ne pas les mettre en place.
(1a) Législation restreignant les conditions d’insémination, 31 décembre 1991
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000721455/
(1b) Législations sur la PMA de 1994: https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000549618
(2) Centres d’études et de conservation de sperme humain (CECOS) https://www.cecos.org/
(3) La Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD)
https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/acces-origines-AMP/article/la-commission-d-acces-des-personnes-nees-d-une-assistance-medicale-a-la
(4) « Donor conception, secrecy and the search for information », Sonia Allan, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH)
https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Children/SR/Surrogacy/AcademicInstitutions/SoniaAllanOAM_CF_DeakinUniversity_Annex5.pdf
(5) Rapport 2022-2023 de la CAPADD, adopté lors de la séance de la commission du 15.09.2023:
https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/291078.pdf
(6) Séance publique au Sénat du 5 juin 1980 sur l’insémination artificielle : https://www.senat.fr/comptes-rendus-seances/5eme/pdf/1980/06/s19800605_2375_2421.pdf
(7) PMAnonyme, lieux de conception par don de gamète en France: https://pmanonyme.asso.fr/non-classe/quels-sont-les-differents-lieux-de-conception-par-don-de-gametes-en-france/
(8) Quand des tests ADN jettent le trouble sur le recours de gynécologues à leur propre sperme pour des inséminations, enquête franceinfo)